La femme du mois : Juliette Kusic, Présidente d’AB Report

Interview publiée dans Social CSE n°116 – janvier-février 2022

En plein tumulte, Juliette Kusic relève le défi de la dématérialisation forcée

Changement, déménagement, challenges ? Dans sa prise de risque professionnelle passée et actuelle, cette experte des relations sociales a toujours fait front pour mener sa barque à bon port. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle accepte de prendre la tête d’AB Report spécialisée dans la rédaction de PV en novembre 2020, en plein confinement. En sachant pertinemment qu’outre la difficulté à manager des équipes à distance, elle devrait officier dans un contexte de transformations majeures des pratiques, et au rythme effréné que la crise a imposé à cette activité et aux élus de CSE…

Vous avez pris la présidence d’AB Report en pleine pandémie. Comment décririez-vous l’activité de l’entreprise, de cette période à aujourd’hui ?

Je suis arrivée en novembre 2020, en plein reconfinement, dans une société « fantôme », presque désertée physiquement en raison du télétravail. La prise de poste a été curieuse. J’ai fait la connaissance des salariés, un par un… mais en visioconférence. Il a fallu de longs mois pour les rencontrer en vrai !

Pour les salariés aussi la période était difficile. Tout se passait en visioconférence. Pour des rédacteurs accoutumés à assister physiquement à des réunions, la tâche s’est complexifiée et intensifiée. Les équipes, rédacteurs et fonctions supports, avaient déjà tous travaillé dans des conditions difficiles depuis mars 2020. Passer en dématérialisation totale a été éprouvant pour tous. Il a fallu s’assurer changer nos pratiques et nos habitudes, trouver de nouveaux repères, et plus largement s’organiser et s’adapter. Sans bénéficier de l’appui des collègues, de leur présence, et des échanges possibles au bureau lorsqu’on est ensemble.

Sur les grandes instances, ou sur des réunions longues qui durent près d’une journée, le « tout visio » est un exercice qui s’avère lourd. La perte du lien humain, ce lien qui rend tant de choses plus faciles, et le fait de rester « collé » à son ordinateur durablement sont éprouvants pour tout le monde. Les élus ne sont pas en totalité connus de nos rédacteurs ; certains n’activent pas leur webcam, d’autres ne pensent pas à se présenter à chaque fois qu’ils prennent la parole puisqu’ils sont entre eux et se connaissent. On peut perdre très vite les repères qui permettaient de mieux gérer le travail.

Depuis l’été, nous reprenons progressivement des réunions en présentiel. Ce qui est le plus difficile, à la fois pour les élus et pour nos rédacteurs, ce sont les réunions hybrides qui réunissent à la fois des élus autour d’une table et d’autres en visio. S’efforcer d’identifier la personne qui parle, gérer les problèmes de son et d’identification rend les conditions de travail pénibles. Idem, lorsque plusieurs personnes se partagent le même micro, mais pas la caméra. Nous faisons le maximum pour sensibiliser nos clients à ces difficultés, aux conditions de travail de nos rédacteurs.

Après la suppression des CHSCT, les demandes de prestations avaient baissé, mais nous constatons progressivement une reprise de notre activité auprès des CSSCT.

Comment êtes-vous parvenue à la tête d’AB Report ?

Mes fonctions de Directrice du Développement m’amenaient à voir beaucoup d’acteurs en relation avec le monde du dialogue social. J’avais rencontré les co-fondateurs et les équipes d’AB Report lors de salons, et nous avions bien accroché. Des valeurs communes, une envie de faire quelque chose ensemble, des contacts réguliers… tout cela a perduré, jusqu’à ce qu’une opportunité se présente : prendre la direction de l’entreprise et m’associer. Le projet et l’équipe étaient motivants, à plusieurs titres :

AB Report et ses salariés sont impliqués dans le dialogue social, un monde dans lequel je souhaitais rester.

Il faut préciser que nos rédacteurs ne sont pas des sténotypistes, mais des salariés qui ont tous un Bac+5. Ils sont recrutés pour leur capacité à bien écrire, à comprendre les sujets évoqués en réunion, et à les transcrire de différentes façons adaptées aux attentes de nos clients : d’un compte-rendu complet en allant jusqu’à une synthèse courte, nous déployons tout un panel de prestations.

La polyvalence de nos équipes permet une grande capacité d’adaptation, nous proposons des outils utiles aux élus, comme le mémento ou les prestations en temps réel en cas de besoin immédiat du PV. Ceci nous permet de travailler avec de nombreux grands comptes (comme Total, Engie ou SNCF), mais aussi des plus petites instances sur un périmètre de 300 salariés.

Épaulée par la Directrice Commerciale et le Directeur de la production, je manage actuellement une équipe de 40 collaborateurs. Parmi elles, des rédacteurs spécialisés en CDI soutenus par un pool de rédacteurs freelance, contrairement à certains de nos concurrents qui font le choix de ne travailler qu’avec des freelances. Ce renfort en rédacteurs indépendants s’explique par les pics d’activités qui régissent notre métier. Les 3e et 4e semaines du mois sont denses puisque la plupart des réunions de CSE se tiennent après le 15 du mois. Nos journées les plus concentrées sont les mardi et jeudi. Le lundi est en général dévolu aux meetings des directions, le mercredi est souvent calme (temps partiels, enfants). Enfin, le vendredi, veille de week-end, mieux vaut éviter les réunions qui génèrent des déplacements, mais toute la difficulté est de trouver le bon curseur… et de fidéliser autant nos salariés que nos freelances pour la satisfaction de nos clients. C’est pourquoi AB Report propose une offre commerciale incitative pour que les élus fixent les réunions en période creuse afin de bénéficier de leur cycle de rédacteur à moindre coût.

Les élus ont le choix de déléguer à AB Report la rédaction de PV ou bien de rédiger eux-mêmes. Quel est le choix le plus judicieux pour eux ?

La crise sanitaire a généré beaucoup plus de travail pour les élus : le souci de la protection des salariés et de leurs conditions de travail, la mise en place de protocoles sanitaires générés par la crise… Ils ont pris le temps de sonder leurs bénéficiaires, et ce, en dépit des bureaux ou sites fermés, tout en s’adaptant aux conditions décrites plus haut. Ils ont donc beaucoup fait appel à nous. Nous les incitons à nous confier le volet de la rédaction du PV, car la fonction d’élu est devenue de plus en plus dense. Assurer leur part dans le dialogue social en suivant l’activité économique, les conditions de travail et la santé des salariés au travail représente déjà une grosse charge de travail. Se dégager du temps que représente la rédaction de tous ces sujets, c’est regagner des marges de manœuvre pour se recentrer sur l’essence même de la mission d’un élu, se concentrer sur les sujets qui l’ont motivé à s’engager en tant qu’élu… Mais attention à ne pas déléguer à n’importe qui !

Pouvez-vous revenir sur votre parcours universitaire et carrière professionnelle ?

Je suis titulaire d’un baccalauréat scientifique, d’un DUT d’administration et de gestion des entreprises. J’ai également fait Sciences Po à Grenoble dont je suis sortie en 1990. Après 15 ans d’expérience professionnelle, j’ai eu la chance de faire une pause et de suivre un 3e cycle en gestion et management stratégique avant de me repositionner professionnellement. En termes de carrière, je dirai que j’ai eu trois phases.

Les 4 premières années, j’ai enchaîné des missions diverses et j’ai vécu les difficultés des jeunes qui veulent entrer sur le marché de l’emploi.  

J’ai ensuite intégré une entreprise plus structurante -ESL & Network, cabinet de conseil dans laquelle je suis restée 7 ans. D’abord comme attachée de direction puis responsable administrative et financière et enfin, secrétaire générale du groupe.

J’ai démissionné pour suivre mon époux à Lyon et me suis mise en quête d’un poste dans le milieu associatif pour satisfaire ma quête de sens. Hélas, sur ce segment, les postes salariés sont rares. C’est là que j’ai choisi de passer mon 3e cycle en gestion. J’ai finalement intégré le groupe Secafi en 2005 en qualité de consultante en analyse économique et financière à Lyon puis à Paris en 2008 après une demande de mutation.

Vous y avez d’ailleurs effectué une belle progression…

J’y ai découvert le monde du dialogue social et j’y suis restée ! Après avoir été consultante de 2005 à 2008, j’ai rejoint pour 2 ans la filiale Semaphores Expertise qui assurait la partie « expertise des comptes des CE et accompagnement sur leur budget ». Nous avons pu réaliser une belle croissance de l’activité, ce qui m’a conduite au poste de directrice du développement de SECAFI, puis de directrice régionale IDF. Après 15 belles années au sein d’un groupe auquel je reste très attachée, j’avais envie de suivre une autre route et de partir vers un nouveau cycle professionnel. La vie vous offre parfois de belles opportunités.

Au cours de votre carrière dans l’univers du conseil, de l’audit et de l’expertise sociale, quelle rencontre vous a profondément marquée ?

J’ai eu la chance d’en faire bien plus qu’une ! D’abord quelques personnes avec lesquelles j’ai travaillé et qui m’ont donné ma chance et permis d’évoluer. Mes quinze années chez Secafi ont été formatrices et structurantes. J’y ai également fait de belles rencontres du côté des clients. Certains m’ont inspiré de l’admiration et de respect et parfois beaucoup d’amitié. Je pense notamment à quelques leaders syndicaux ayant œuvré au sein de PME en proie à de grands changements. J’ai une pensée particulière pour Antoine, délégué syndical dans une PME Textile en difficulté, un des premiers leaders syndicaux avec lequel j’ai travaillé… et appris mon métier en tant que Consultante auprès des élus. Lorsqu’il m’a annoncé son départ en retraite, j’en avais les larmes aux yeux !

En coulisse avec Juliette Kusic

Quel est votre livre de chevet ?

J’en ai toujours 3 ou 4, car je suis éclectique : cela peut être de la philosophie bouddhiste, un roman policier américain, un ouvrage sur l’alimentation saine. Récemment, j’ai eu envie de lire une biographie de Simone Weil, suite à une visite du musée de la Résistance à Lyon.

Quelle œuvre vous émeut sans jamais vous lasser (œuvre musicale, picturale, cinématographique… au choix) ?

J’aime aussi la musique et le cinéma et là aussi je suis très éclectique : musique classique, jazz, reggae, chanson française… Au cinéma, je passe sans problème d’un film coréen à un James Bond, et je suis une grande fan du cinéma de Claude Sautet.

Que faites-vous avant et après une prise de parole devant un auditoire (de clients) ?

Avant une prise de parole, je m’assure que j’ai bien travaillé mon sujet. Et je respire un bon coup pour rester naturelle. Pour que l’auditoire ne s’ennuie pas et vous écoute, il faut la bonne dose de préparation amont, lâcher ses notes en live et présenter en restant soi-même.